Fahrenheit [PS2]
Second jeu de Quantic Dream, Fahrenheit n’est pas un Shenmue like comme l’était The Nomad Soul, il prend plutôt la forme d’un jeu d’aventure à la frontière entre le film interactif comme tous les jeux du studio le seront ensuite. À l’époque Fahrenheit a fait pas mal de bruit et suscité pas mal de déceptions, nous allons voir pourquoi.

Par la suite, on changera constamment de point de vue entre Lucas et les deux flics. C’est d’abord intéressant puisqu'on nous donne la possibilité de choisir dans quel ordre on veut vivre ces points de vue. Mais c’est aussi intéressant puisque notre but sera tour à tour d’échapper au meurtrier puis de le coffrer et qu’on prendra plaisir à faire les deux. Ce qui permet ce tour de force et aussi un plus grand but qui est commun aux deux camps : découvrir ce qui s’est réellement passé lors de ce meurtre.
On retrouve plusieurs thèmes communs à The Nomad Soul qui seront répétés pour tous les jeux du studio à savoir les histoires policières impliquant des meurtres, la forte présence du mysticisme mais aussi un amour certain pour les changements de point de vue (une thématique qui avait été portée à son paroxysme dans le précédent jeu).
Ce qu’on pourra reprocher au scénario c’est de décevoir un peu à la fin à cause de personnages et de révélations accompagnées sortis du chapeau et totalement survolés (le clan des Mauves, totalement abracadabrantesque, en est le meilleur exemple). Néanmoins, le scénario est très prenant et il est difficile de décrocher de ce thriller jusqu’à sa fin.
« C’est ainsi que se termine mon histoire. Je vais aller croupir en prison pour le restant de mes jours. Jamais je ne saurai ce qu’il m’est arrivé par une froide nuit de janvier dans les toilettes d’un restaurant de l’East End, puisque aux yeux du monde, je ne suis qu’un meurtrier. ». Une réplique de game over qui marque.
Bien entendu vu que c’est un jeu d’aventure, il y a tout un tas d’interactions qu’il est possible de faire avec les objets. Ces interactions ne se font pas par le biais d’un bouton comme on a l’habitude de le voir mais par le biais du stick droit sur lequel il y a eu un gros travail de composition. Par exemple pour prendre un objet par terre, il faudra incliner le stick vers le bas, pour allumer un interrupteur, il faudra incliner le stick vers le haut, de façon plus complexe, pour verser un café dans un verre situé à sa droite, il faudra incliner le stick à droite puis le faire glisser vers le bas et pour monter à une gouttière, il faudra faire droite + glissement vers le haut et gauche + glissement vers le haut à la chaîne. C’est instinctif et ça fonctionne très bien.
Ces petits moments de quotidien (prendre un café, etc.) mêlés avec le fait qu’on soit souvent exposé à la vie privée des personnages (beaucoup de scènes se passant dans leur appartement ou impliquant leur partenaire) donnent au jeu un aspect simulation de vie qui n’est pas pour déplaire.
Cela me permet de mettre en avant le fait que le jeu soit très mature, il comporte bien sûr quelques scènes de violence (restant soft, elles se veulent réalistes) mais aussi des scènes de sexes avec à quelques moments les parties féminines visibles, choses rares même pour l’époque (on pense aux prostitués à demi-nus des mini-jeux de God of War dans un registre plus comique).
Deux choses ont été ajoutées à ce système. D’abord le fait qu’il y ait un court temps pour faire son choix à chaque fois sous peine de ne pas voir le personnage répondre, ce qui accentue le réalisme. Puis ensuite le fait que les choix se fassent par le biais du stick droit, ce qui rentre dans sa forte utilisation d’interaction dans le jeu.
Il existe des modes de difficulté pour les QTE. En Difficile, il faudra réagir de façon extrêmement rapide et précise pour réussir à passer les scènes. À vous de voir si ça a une utilité de jouer dans ce mode, je n’en ai pas été totalement convaincu, sûrement parce que toutes les commandes ne correspondent pas forcément à ce qui se passe à l’écran comme dans un jeu de Don Bluth toutefois la difficulté est réelle et retransmet bien la tension régnant lors de ses scènes.
À noter qu’il existe aussi des scènes d’infiltration ou de phases en vue FPS, le jeu est relativement riche de part ce qu’il propose.
Le jeu dispose d’une très bonne mise en scène. La caméra possède plusieurs placements pour chaque pièce du jeu changeant de façon dynamique selon les déplacements du joueur, le système n’est pas 100% au point mais le fait de pouvoir bouger manuellement la caméra comme on veut suffit à corriger ce problème.
Mais l’élément de mise en scène le plus remarquable dans ce jeu est l’utilisation massive du split screen, une originalité inspirée de la série 24 heures chrono. Ainsi, l’écran va parfois se diviser en plusieurs écrans (jusqu’à 4) dans des proportions et des placements qui peuvent être différents. Dans l’exemple que j’ai donné avant avec le flic qui tape à la porte, lorsque le flic arrive, l’écran se divise en deux, avec dans une partie le flic et dans une autre partie le joueur, qui n’a pas du tout arrêté de jouer entre-temps. Cela permet de montrer plusieurs événements se produisant en même temps et de ne pas arrêter l’action quand un événement se produit.
Le jeu reste totalement fluide quand cela arrive ce qui a posé de grosses contraintes aux développeurs à cause de la faible mémoire de la console. Afficher plusieurs écrans en même temps consomme en effet pas mal de ressources, quand c’est fait on s’arrange en général pour retirer des effets du jeu et ainsi garantir un frame rate constant.
Les musiques ont été principalement composées par Angelo Badalamenti qui a composé la musique de la plupart des oeuvres de David Lynch (un successeur de marque à David Bowie dans The Nomad Soul). C’est assez marrant quand on voit que certains comparent le jeu avec le travail de Lynch car il comporte quelques scènes oniriques et délirantes, bien qu’on soit loin du travail de l’illustre réalisateur.
Ses musiques sont dans un ton dramatique et portées au violon, je ne vous met comme exemple que New York City qui reflète parfaitement une bonne partie de l’OST.
Les thèmes des scènes d’action Do Something Now, Escape or Fight ou Fighting The Oracle souvent accompagné de chœurs, arrivent à rendre ces scènes bien épiques.
Il existe aussi pas mal de chansons d’autres artistes dont certains très connus qui se veulent plus divertissantes et plus festives comme Just an Illusion (Leee John), Try it Again (Bobby Byrd), Hang it Up (Patrice Rushan), Street Tough (Ben E. King) ou Sandpaper Kisses (Martina Topley-Bird).
Le groupe Theory of a Dead Man ont composé aussi 4 très bonnes chansons (Santa Monica, Say Goodbye, No Way Out et No Surprise) qu’on pourra écouter, comme dans The Nomad Soul, par le biais des chaînes hi-fi des personnages quand on sera dans leur appartement, ce qui donnera une ambiance sympa quand on fouillera les dits appartements. Malheureusement, cela arrive très rarement, c’était déjà un problème dans The Nomad Soul et là c’est encore pire.
Le jeu dispose au passage d’un très bon doublage français, on retrouve les doubleurs français de Keanu Reeves, Angelina Jolie, Will Smith et de Sarah Michelle Gellar, des pointures et des voix très reconnaissables donc.

Bien sûr David, bien sûr
Venons-en enfin aux choix et à la progression qui s’avèrent être les principales sources de critique de Fahrenheit et des jeux suivants du studio.
« Ayez une incidence réelle sur l’intrigue », « Plus qu’un jeu vidéo, une œuvre à part entière dont vous êtes les acteurs. » nous disent les arguments de vente au dos de la boîte.
« Chacune de vos actions va avoir des conséquences sur le déroulement du scénario », « Soyez prudent, vous entrez dans un monde où tout peut arriver » nous dit David Cage himself dans le tutoriel du jeu.
Tu m’étonnes que les joueurs nourrissent des attentes démesurées et soient déçus après quand on leur sort des propos aussi ambigus qui font croire monts et merveilles.
Que toutes les actions aient une vraie influence sur l’action et qu’on vivent tous une histoire complètement différente en fonction des choix qu’on fait, c’est impossible, sauf pour certains jeux comme The Stanley Parabole qui s’imposent des contraintes drastiques (jeu extrêmement court avec pléthore de choix et de scènes). Les visual novels eux, ont des choix qui peuvent simplement changer les dialogues, provoquer d’autres scènes, influer sur des événements ultérieurs mais aussi, et ça c’est plus intéressant, nous conduire sur un nombre raisonnable de routes qui sont de grands moments d’histoire (faisant parfois presque toute la durée du jeu) extrêmement différents les uns des autres.
Ça n’est clairement pas le cas de Fahrenheit, le jeu est linéaire et il dispose bien de plusieurs fins (qui sont loin d’être mauvaises) mais elles ne sont déterminées que par ce qu’on fait lors de la dernière scène du jeu. Dans le meilleur des cas, les choix peuvent provoquer l’apparition ou des changements de scènes plus tard dans le scénario, toutefois ces scènes n’ont jamais une grande importance sur l’histoire. Les choix ont beaucoup d’importances mais toujours au sein des chapitres où ils ont lieu et après ça c’est quasiment toujours comme si rien ne s’était passé. Par exemple, au début du jeu, il existe beaucoup de façon de maquiller le crime puis de sortir du restaurant mais ça n’a pas que très peu d’importance pour la suite.
Bien sûr, les choix ont une importance sur toute l’histoire puisqu’ils peuvent provoquer l’apparition de game over mettant fin à l’aventure (extrêmement nombreux, ce qui est un très bon point du jeu) et qu’ils peuvent influer sur votre moral, ce qui peut avoir des répercussions bien plus tard dans le jeu. Mais vous admettrez que le discours des développeurs est extrêmement ambigu et qu’il promet aux joueurs tout autre chose. Ce qui permet aux développeurs de faire ça c’est qu’en jouant au jeu on n’a l’impression que toutes nos actions ont une importance et ça n’est qu’en le refaisant qu’on s’aperçoit des limites d’interactions, ça n’est pas une mauvaise chose cependant, tout bon jeu d’aventure se doit de faire croire au joueur qu’il est le moteur de la progression.
En bref, les interactions sont extrêmement intéressantes et complexes dans le jeu mais essentiellement sur le court terme. Si vous êtes intéressé par un jeu d’aventure où vos choix ont un impact sur le long terme, je vous conseille le très bon Shadow of Memories, sorti sur la même console et qui propose une histoire temporelle avec une multitude de fins et où vos choix peuvent modifier le cours du temps et donc l’avancée de l’histoire.
Fahrenheit est un très bon jeu d’aventure/film interactif à la Quantic Dream. Il propose un scénario de thriller très prenant qui tire parti de multiples points de vue opposés et il propose une très bonne mise en scène tirant parti de façon très originale du split screen. N’oublions pas de mentionner les nombreuses scènes d’action très spectaculaires, bien qu’elles soient très en décalage au début du jeu. Les doublages et musiques très bons et assurés par des pointures. Une gestion du moral qui demande à faire attention à nos actions et à prendre soin de nos personnages, avec un aspect gestion de vie qui nous rapproche d’eux. Un système de dialogue mettant en avant les décisions réfléchies et des scripts très transparents mettant en avant la surprise et le réalisme. Un jeu de composition très bien pensé avec le stick droit pour interagir. Une certaine richesse (de lieux et de situations) et une certaine maturité.
Là où il faut faire attention c’est à ne pas croire le discours ambigu des développeurs sur la forte importance de l’interaction dans le jeu, celle-ci est intéressante mais quasi exclusivement sur le court terme. Si vous faites comme moi et que vous n’avez pas d’attente là-dessus, vous prendrez votre pied en vous faisant le jeu, pas de soucis là-dessus.
Date de sortie : 2005