Saya no Uta [PC]
Quand on parle de visual novel, Saya no Uta fait figure d’incontournable et d’intouchable. L’œuvre majeure de Nitroplus, fleurant entre horreur et fantasy, n’est malheureusement pas à réserver à tout le monde. Plus précisément à cause de son parti pris graphique, qui consiste à représenter le monde de la façon la plus organique qui soit, mais aussi à cause des propos tenus parfois difficilement soutenables. Bref, public jeune et/ou sensible, vous voila prévenus.
Tout d’abord commençons par une petite préface portant sur la localisation du jeu avant d’entrer dans le vif du sujet. Saya no Uta a connu une telle popularité qu’il a pu s’exporter aux US en version dématérialisée. Porté par JAST USA, le jeu se pare du sous-titre The Song of Saya dans cette déclinaison. Mais le jeu a aussi connu une traduction amateure française par la team Nnuuu (apparemment leur site est down mais le patch est toujours trouvable en furetant sur le net). Donc sachez que malgré les captures utilisées, le jeu est disponible en français, une nouvelle qui permettra d’écarter un peu moins de monde de l’œuvre.
Fuminori Sakisaka est un étudiant en médecine, la vingtaine, qui n’a vraiment rien d’exceptionnel jusqu’au jour où il est frappé, ainsi que sa famille, par un tragique accident de voiture quelques mois plus tôt. Lui seul en réchappe, mais croyez le ou non, la perte de ses parents n’est pas ce qui a le plus affecté le jeune homme. Fuminori y a également perdu la perception de son monde qu’il aimait tant, ce dernier étant remplacé par le plus hideux des cauchemars. Viande avariée, chairs pourries, viscères et organes divers couvrent maintenant les murs, meubles et objets du quotidien de Fuminori. Ses plus proches amis ne sont plus à ses yeux que des monstres informes ne s’exprimant qu’en grognant et gémissant. Dans ce monde aussi abominable soit-il, il existe néanmoins un signe d’espoir, apparaissant sous les traits d’une jeune fille à la beauté et à la pureté angéliques : Saya.
Image gauche : L’introduction est vraiment bien mise en scène et plonge le joueur au cœur du jeu
Image droite : Le jeu est inspiré de l’œuvre d’Osamu Tezuka : Hi no Tori (voir plus bas)
Le portrait que j’en fais n’est pas l’œuvre du hasard, à l’aide des différents points de vue centrés sur les personnages, Saya no Uta nous amène à nous interroger sur notre propre vision du monde et c’est surement sa volonté première.
La citation de Descartes “Je pense donc je suis” est parfaite pour illustrer le visual novel. La seule chose dont on peut être sûrs est que l’on existe, nos sens peuvent nous tromper totalement et la réalité que l’on perçoit peut être totalement différente de celle dans laquelle on vit vraiment. L’histoire ajoute quelque chose à cette déclaration, c’est qu’au final on s’en fout.
Mais quelle tournure prend le récit par la suite ? Sans trop en dévoiler, Fuminori sera sur les traces du Dr. Ougai, un homme mystérieux supposé être le père de Saya. La réalité vécue par le jeune homme affectant de plus en plus sa personnalité, cela incitera ses amis à investiguer sur son cas, jusqu’à ce qu’ils tombent sur la pire horreur que l’on appelle vérité. Le titre tourne en dérision l’obsession qu’a l’homme de rationaliser tout ce qu’il ne comprends pas, comme le font énormément d’œuvres incluant du surnaturel.
Le fait d’alterner plusieurs protagonistes possède plusieurs avantages, ainsi l’exploration de lieux inhabituels et lugubres donnera lieu à des passages pouvant figurer dans n’importe quel bon roman d’épouvante. Aussi certaines parties du visual novel telle celle s’intéressant à la famille Yousuke ou dans une moindre mesure celle portant sur les rumeurs de l’hôpital pourraient presque être extraites de véritables nouvelles. A noter que l’œuvre est influencée par Lovecraft, en effet le surnaturel est souvent traité de manière scientifique par le biais de notes et de rapports médicaux. Un ravissement pour les amateurs d’horreur donc.
Petit développement légèrement hors sujet sur Hi no Tori :
Saya no Uta est en partie inspiré de l’œuvre d’Osamu Tezuka : Hi no Tori (ou Phénix, l’oiseau de feu chez nous).
Tezuka est un des mangaka les plus importants qui aient existé, il est connu pour avoir fait Astroboy, Le Roi Léo ou encore L’Histoire des 3 Adolf. Son manga Phénix, qu’il aura rédigé tout au long de sa vie, représente à chaque fois une nouvelle histoire, se déroulant alternativement dans le passé et dans le futur et s’attarde sur le sens de la vie.
Dans le tome 5, se passant dans le futur, le héros fait une chute de sa voiture qui aurait dû être mortelle. Il est rafistolé, son cerveau est remplacé et est maintenant majoritairement synthétique.
Au réveil les humains n’apparaissent plus à ses yeux que comme des choses inertes, de gros amas de terre si vous préférez. Dans son désespoir, il rencontre une jeune fille d’une grande beauté qui apparaît normale à ses yeux. Je n’en dis pas plus mais sachez également que certaines parties du monde apparaissent bien différentes à son regard.Saya no Uta fait référence à ses inspirations à trois reprises : 01 02 03. Et si vous êtes encore sceptique, un site y fait également allusion :
https://web-beta.archive.org/web/20141028234133/http://www.mangaupdates.com/series.html?id=5517
Partie Resurrection : “The section is referenced by the eroge, Saya no Uta.”.
Je dois avouer que j’ai été très surpris lorsque j’ai vu la référence car Phénix est très très peu connu chez nous.
Image droite : Votre psychanalyste Ryuko … Huhu, ne vous fiez pas aux apparences…
Non content de posséder un contenu choquant voir offensant, Saya no Uta s’entiche d’être un eroge et donc d’inclure des scènes érotiques. Celles-ci s’inscrivent dans l’esprit du jeu, ainsi des scènes incluent : viol, domination, monstres, sans oublier la jeunesse extrême de l’héroïne. Tout ceci ne devra pas vous faire tourner de l’œil si vous voulez lire sereinement l’œuvre.
La partie dramatique de Saya no Uta n’a d’égal que son atmosphère monstrueusement fabuleuse en majeure partie dû à ses graphismes et sa bande son. L’illustration aura rarement joué un tel rôle dans la qualité d’un visual novel. On peut à ce titre citer la présence incongrue de la petite Saya qui dénote complètement dans le monde dans lequel elle apparaît, avec le “Song of Saya I” jouant en fond et allant dans ce sens.
Image droite : Regardez y à plusieurs fois, le personnage n’est pas mortellement blessé et vidé de ses entrailles mais est tranquillement dans son lit d’hôpital. On peut le dire, Saya no Uta est magnifique dans ce qu’il y a de plus dégueulasse
Que dire de plus sur la partie graphique qui n’ait pas été déjà évoqué ?
On aurait pu craindre le pire avec l’utilisation de la 3D en plus de la 2D pour représenter le monde organique mais il n’en est rien. Les CG sont assez nombreux et certains sont vraiment sublimes. Les décors réels sont majoritairement photo-réalistes, possèdent des contours légèrement floutés et son parfis recolorisés, ce qui permet d’accentuer l’effet d’arrière plan et est du plus bel effet. Les sprites sont aussi nombreux et le style de dessin des personnages adopte un style manga sombre et mature, beaucoup plus tolérable que ce qu’on a l’habitude de voir ces dernières années, ça ne fait pas dans le kawai ou le moe à outrance.
Comparaison avec et sans le filtre “lower brightness” activé. Certains CG perdent clairement de leur superbe
À noter que dans un soucis d’accessibilité Saya no Uta propose d’appliquer des filtres à l’image en début de jeu. Vous pouvez activer le filtre flou, contrasté ou flou et contrasté. Le premier floute certaines images et est assez indigeste, le deuxième obscurcit les images et le troisième fait les deux en même temps. Les deux derniers filtres atténuent vraiment le gore mais comme vous pouvez le voir au-dessus certains CG sont remplacés par des dessins architecturaux pas toujours de très bon goût.
Les doublages sont très réussis et collent bien avec les personnages, les bruitages sont assez nombreux, il n’y a pas de reproche à leur faire. Les musiques sont excellentes, cela oscille de la musique de fond angoissante ("Schizophrenia, Scare Shadow") aux chansons à la guitare façon Silent Hill ("Shoes of Glass"), en passant par un mélange des deux (l’excellent “Song of Saya I” dont je faisais écho plus tôt ou “Sin"). Bref, les musiques accompagnent vraiment bien le jeu en contribuant magnifiquement à son atmosphère.
Si j’ai évité de parler de Saya no Uta en tant que jeu c’est qu’il y a une raison. En effet le visual novel ne comporte que deux choix, on se rapproche plus du Kinect Novel (visual novel ne proposant aucun choix) que d’un visual novel qui fait sans cesse appel aux décisions du joueur.
Bien sur, Saya no Uta est toujours construit comme un jeu vidéo : menu, sauvegardes, bonus, options, etc. Il garde toujours une parenté avec les visual novels qui se veulent au départ particulièrement interactifs et, ce qui est plus intéressant, les deux choix qu’il propose sont des choix majeurs, fondamentaux, qui amènent vraiment le joueur à réfléchir. À vous de vous faire votre propre avis sur la question.
Saya no Uta possède une bonne durée de vie pour ce qu’il propose, il faut entre cinq et dix heures pour en voir le bout. La faible durée de vie par rapport à ses collègues fait même figure de point fort, car l’implication nécessaire pour se lancer dans le jeu est moins forte.
Le seul indice de rejouabilité se situe au niveau des deux autres fins à obtenir, qui sont indispensables. Après ça le joueur peut admirer tous les CG qu’il a débloqué et c’est à peu près tout, un sound test aurait été un plus agréable.
La réputation de Saya no Uta n’est pas usurpée, une très bonne intrigue, des graphismes glauques mais parfaitement somptueux, d’excellentes musiques. Il n’en fallait pas plus pour devenir un fleuron du visual novel. Son seul défaut est de viser un public restreint de par le contenu explicite présent.
Que vous n’ayez jamais touché à un visual novel, que ce genre vous rebute un peu ou que vous soyez passés complètement à côté, Saya no Uta est un titre IN-DIS-PEN-SABLE qui, au travers d’une courte aventure, montre bien ce que le genre est capable de donner.
Date de sortie : 2003
Article publié originellement sur Gamekult le 10/09/2013